États mixtes et le spectre bipolaire
États mixtes et le spectre bipolaire (maladie et tempéraments); valeur heuristique du concept d’état mixte et l’importance de sa compréhension dans le traitement de la dépression.
Par Dr Benoit Croteau, novembre 2022
La mixité des symptômes de manie (excitation psychique) et de dépression (ralentissement psychique) est une réalité clinique incontournable à laquelle on fait face lorsque l’on évalue un épisode dépressif clinique d’intensité sévère. Un épisode dépressif peut remplir pleinement les symptômes cliniques de dépression et présenter des symptômes maniaques tels que des pensées rapides, une labilité affective, une tension interne forte ou une irritabilité intense. Inversement, un épisode de manie ou d’hypomanie peut être associé à la présence d’une humeur dysphorique, des idées de culpabilité, de persécution ou des idées suicidaires (dysphorie maniaque). Cette mixité de symptômes peut se présenter dans un même temps (le plus souvent) ou par alternance périodique.
Historiquement, les états mixtes ont été définis par Emil Kraepelin et son élève Wilhelm Weygandt (Salvator, P et al. 2002)[1] à la fin et aux débuts du 20ème siècle. W. Weygandt a publié un traité portant spécialement sur « Les états mixtes dans la folie maniaco-dépressive » en 1899, et Kraepelin concevait les phases de dépression et de manie comme étant les accès d’une même maladie. Lui et son élève considéraient les états mixtes comme étant les formes les plus fréquentes de la maladie. Dans le chapitre « Détermination du concept » de son traité « La folie maniaco-dépressive » (traduction française par Marc Géraud, Mollat, 1997)[2], Kraepelin écrit avoir acquis la conviction que toutes les formes de la maladie maniaco-dépressive, qu’il définit au fond à la manière d’un spectre incluant la folie périodique et circulaire (décrit par les français Baillarger et Falret au début de la seconde moitié du XIXème siècle), la manie simple, la mélancolie, les « colorations pathologiques de l’humeur légères, tantôt périodiques, tantôt permanentes », « ne sont que les formes de manifestation d’un processus pathologique simple ». Il propose que les formes légères puissent être considérées d’une part comme « les premiers stades de troubles plus graves » et d’autre part, les manifestations de « constitutions personnelles ». Il est juste de penser que les états mixtes décrits par Kraepelin et son élève représentent un concept rationnel solide ayant une valeur heuristique pour tester l’hypothèse d’une théorie unitaire et cohérente des divers troubles de l’humeur à l’aide d’études de recherche cliniques, épidémiologiques et neurobiologiques.